Connaitre nos biais d’humains pour une vie plus alignée à nos valeurs
Dimanche, nous sommes allés visiter le camp d’internement des Milles, lieu de détention des étrangers considérés comme ennemis au début de la seconde guerre mondiale, puis des Juifs, jusqu’en 1942. Ce lieu de mémoire permet de mieux comprendre le rôle de la France dans la Shoah (bien plus terrible que celui qui nous est présenté dans les livres d’histoires, je pense qu’on le sait).
Parmi les traces retrouvées sur les murs du camp des Milles
La visite de ce musée se clôture sur un espace réflexif. Pour aller au-delà du classique « plus jamais ça » : puisque c’est arrivé, encore et encore, comment empêcher ce qui à première vue peut l’être ? Comment s’assurer au niveau individuel de résister à la barbarie ? De ne pas y prendre part ?
En connaissant nos biais d’humains. Si on connait nos angles morts, on a beaucoup plus de chance de ne pas agir de façon qui ne nous correspond pas. Le musée présente ainsi quatre études* sur nos façons de nous comporter en temps qu’humain : sur le rapport à l’autorité, sur notre capacité d’aider des personnes qu’on ne voit pas, sur l’effet du conditionnement, et enfin sur le conformisme.
Je trouve que le fait de savoir qu’on aura tendance à (ne pas) agir d’une certaine façon dans un cadre donné, ça nous permet de mieux nous voir et de prendre de meilleures décisions, alignées à nos valeurs.
La première, c’était une étude sur le respect de l’autorité. Un individu devait poser des questions à une autre personne, située dans une autre salle, et lui envoyer des décharges électriques d’intensité croissante quand elle répondait mal aux questions. Le responsable de l’étude expliquait que les décharges pouvaient monter jusqu’à 450 volts (mortelles).
Les deux tiers des personnes testées ont continué à infliger des décharges (heureusement fausses !) même après qu’elles aient entendu que l’individu avait mal. Parce qu’elles respectaient l’autorité : il y avait avec elles le responsable de l’étude qui leur disait de continuer. Donc même ceux qui s’interrogeaient avaient tendance à continuer, parce que la figure d’autorité qui était présente leur disait de le faire. La même étude faite avec la personne dans la même pièce a démontré que quand on voit les personnes souffrir de nos actes on s’arrête beaucoup plus tôt, malgré l’autorité. Rassurant quand même. Malgré tout, quand nos (in)actions ont un impact sur des gens qu’on ne voit pas, on aura plus de mal à défier l’autorité.
Ce sur quoi ça peut nous interpeler : quand une autorité nous demande de faire une action qui ne nous parait pas juste, prendre le temps de s’interroger par rapport à nos valeurs, aux conséquences de nos actes sur les personnes, incluant celles qu’on ne voit pas.
La deuxième étude portait sur notre capacité à aider des personnes qui en ont besoin. Dans le cadre de l’étude, de jeunes étudiants qui se rencontraient pour échanger sur leurs difficultés : elles étaient chacune dans leur bulle, avec micro, pour échanger « en toute confidentialité », sans se voir, donc, mais dans un même bâtiment. L’un des participants, un acteur recruté pour l’étude, simulait une crise d’angoisse pendant l’échange. La discussion avait lieu à 2, 3 ou 4 personnes. Quand l’échange se passait à 2, l’autre personne réagissait quasiment immédiatement pour aller chercher de l’aide. Mais plus le nombre était important, et plus les participants tardaient à réagir. Contre-intuitif, n’est-ce pas ? En réalité, chacun compte sur l’autre pour agir… Ça c’était dans une étude. Dans la vraie vie, début 2022, un monsieur de 84 ans est mort dans les rues de Paris, après qu’il ait fait un malaise et que personne, au cours d’une journée entière dans une rue passante, ne lui soit venu en aide.
Ce sur quoi ça peut nous interpeler : ne comptons pas sur les autres pour agir. Nous pouvons réagir par nous-même pour venir en aide à une personne en difficulté, et on peut même solliciter les autres pour nous appuyer dans cette démarche. Aider, c’est aussi simple que d’appeler une personne compétente (police, pompiers) pour gérer la situation.
La troisième étude a permis de démontrer les effets du conditionnement sur les violences. Elle simulait une prison pour évaluer les effets de l’enfermement sur la psychologie à la fois des détenus et celle des gardiens. Les participants, tous volontaires, ont été répartis au hasard, d’un côté les prisonniers, de l’autre les gardes. Chacun a reçu l’équipement du prisonnier ou du garde, dépendant de son rôle. Et très rapidement, violences et humiliations ont commencé, à tel point que l’étude a dû être arrêtée au bout de 6 jours (sur les 15 prévus). Un tiers des gardiens avait commis des actes violents et humiliants. La conclusion qui en a été tirée, c’est que nous pouvons rapidement être conditionnés, sans nous sentir personnellement responsable de nos actes.
Ce à quoi ça doit nous faire penser : quelles sont nos valeurs ? Nos actes sont-ils en adéquation avec ces valeurs ? Si non, que pouvons-nous faire pour retourner la situation ? Avoir quelques mots clés en tête pour résumer nos valeurs clés peut nous aider à prendre un peu de recul.
La quatrième étude démontrait les effets du conformisme : dans un groupe de personnes, des questions étaient posées, chacun devait donner la bonne réponse. Cinq des six participants étaient complices et donnaient de fausses réponses. Et dans un tiers des cas, la personne testée donnait ces mêmes mauvaises réponses alors même qu’elle savait que ce n’étaient pas les bonnes. Pour deux raisons principales : pour ne pas passer pour un imbécile aux yeux du groupe, ou pour se sentir appartenir au groupe.
Ce à quoi ça doit nous faire penser : nous avons le droit à notre point de vue même s’il est différent de celui des autres. Faisons entendre notre voix !
Nous ne sommes pas parfaits. En lisant ces mots, vous vous rappelez peut-être certaines situations où vous aussi avez agi d’une façon non alignée. C’est mon cas. C’est, je pense, notre cas à tous.
Connaitre nos biais, les risques liés à notre nature humaine, c’est nous permettre de les observer en nous quand ils émergent et se réaligner à nos valeurs, à la façon dont on souhaite se comporter. C’est aussi continuer à apprendre, à s’ouvrir aux autres, à reconnaitre nos torts parfois, à s’excuser.
L’idée n’est pas de rechercher la perfection, mais bien de vivre en accord avec qui nous sommes, en étant droites dans nos bottes, et en capacité d’assumer nos actes…
Si on fait le lien avec la philosophie du yoga, ces réflexions sont liées entre autres à Ahimsa, la non-violence, mais aussi Svadhyaya, l’étude de soi, Satya, la vérité, Saucha, la pureté.
Ahimsa, pour moi, est une bonne boussole à toujours avoir en poche et à sortir autant que nécessaire pour se repérer : suis-je en train d’être violente ? Vis-à-vis des autres ? Vis-à-vis de moi ? Vis-à-vis de la moi du futur ? (la culpabilité, le remords, font selon moi partie de la violence à soi-même…). Cette boussole est aiguisée par la connaissance de nos biais d’humains : quand on réalise qu’on ne peut pas se cacher derrière le groupe, on est plus en capacité de rester fidèle à nous-même.
*Pour en savoir plus sur ces études : http://www.campdesmilles.org/ressources-confinement-3.html
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