Et non, je n’en aurai pas (à moins que mon désir d’enfanter soit en hibernation prolongée et qu’il se réveille un jour. Je pense plutôt que j’en suis dépourvue, ce qui n’est probablement pas bon signe d’un point de vue évolutionniste : j’ai l’impression que c’est comme un signe que non, mes gênes, pas la peine de les passer, merci). Dans un monde tourné vers la reproduction, à 34 ans, quand on n’a pas d’enfant, et aucun signe qu’on est en train d’en vouloir un, ça pose question. Et leurs questions, les gens ne se privent pas de les poser. Et ça, franchement, ça pose problème.
Est-ce qu’il est normal que N., le jour de ses 35 ans, des collègues lui disent « ben alors, il est temps de faire des enfants ! » ? Est-il normal que N. soit jugée sur son âge en mode « tic-toc, le temps passe » parce qu’elle n’a pas rempli le critère enfant avant 30,7 ans* ? Est-il normal que N. qui passait une douce journée d’anniversaire jusque-là se demande comment répondre à ces questions qu’elle vit comme des attaques ?
Alors voilà ce que je réponds dans ces cas-là, avec un sourire que j’espère non crispé (mais vu que ça m’agace passablement, il y a des chances que mes yeux lancent des éclairs. Je ne suis pas la reine du visage impassible). Avant je le faisais surtout parce que ça me faisait du bien, et maintenant je réalise que je le fais pour toutes mes sœurs que cette question vide :
« Non, je n’ai pas d’enfants. Tu sais, il y a mille raisons pour lesquelles je peux ne pas en avoir : peut-être que j’essaie désespérément d’en avoir depuis des années et que je n’y arrive pas. Peut-être que j’en veux, et pas mon mari, ou l’inverse. Peut-être que j’essaie d’adopter et que je ne remplis pas les critères. Peut-être que les choses ne vont pas bien avec mon mari et que l’heure n’est pas à l’enfantement. Peut-être que je ne veux pas en avoir. Tu comprends, quelque soit le cas qui me concerne, puisque je ne t’en ai jamais parlé, peut-être que je n’ai pas envie de t’en parler ».**
Et j’espère, du plus profond de mon cœur, quand je dis ça, que ça s’imprime dans les cerveaux des personnes concernées pour éviter à mes sœurs de l’entendre. Parce que même quand on ne veut pas d’enfant, cette question teintée de jugement porte une certaine violence en elle, on a l’impression qu’on n’est pas vraiment femme en l’absence d’enfant. Alors si j’en voulais et que je ne pouvais pas, si je mourais d’envie d’avoir un enfant dans mon ventre et que ça n’arrivait pas, cette question me percerait de part en part.
Alors clairement, quand Cécile Doherty-Bigara a sorti Nouvelle Mère, je n’étais pas la candidate idéale pour le lire. Bien sûr, Cécile est prof de yoga dont je suis le parcours depuis plusieurs années, donc bien sûr j’allais le lire, d’autant qu’elle est douce et bienveillante et qu’elle a une jolie plume (elle a aussi fait Sciences Po Toulouse, comme moi… ils vont bientôt pouvoir ajouter « prof de yoga » comme débouchés !).
Nouvelle Mère, c’est son récit de découverte de la maternité. Pas les paillettes et les étoiles qu’on nous vend constamment à ce sujet, mais beaucoup plus les expériences que vivent tellement de femmes de mon âge à l’arrivée de leur premier, de leur deuxième, de leur troisième enfant (je n’ai pas d’amies qui ont 4 enfants, mais il y a fort à parier que ça marche pareil). En tout cas, ses récits résonnent énormément avec ceux de mes amies les plus proches.
Elle raconte comment la naissance de son fils a bouleversé sa vie, ses réflexes, mêmes ses pratiques spirituelles. De courts récits qui se succèdent sur différents thèmes, avec en filigrane l’amour inconditionnel qu’elle porte à son enfant. Je trouve que tout le monde devrait lire ce petit livre. Il est beau. Cécile nous y expose les difficultés qu’elle traverse après la naissance de son fils, les interrogations, les doutes, les pleurs, les nuits qui n’en sont plus. Et elle nous dit l’amour, la sororité, la famille. J’ai aimé son approche inclusive, sa franchise, son honnêteté. Ses mots sur ses parents, le travail qu’elle a fait pour se défaire de ce qu’elle croyait bon, mais qui ne l’était pas pour elle. Sa force de faire appel à celles qui pourront l’aider.
C’est un beau livre, à lire, que vous soyez mère ou non, père ou non, que vous ayez des projets d’enfantement ou non, que vous soyez grand-parent ou non. Un récit qui reflète tellement ceux de mes amies. Un récit vrai, fort, profond.
Et aujourd’hui, après avoir dévoré ce livre, j’ai envie de vous dire, à vous, les nouvelles mères, les jeunes mères : je vous vois, je vous entends, je vous soutiens, je ne vis pas vos réalités et ne pourrai jamais comprendre dans ma chair ce que vous traversez. Mais toutes, je vous tiens dans mon cœur ❤️
* âge moyen de la mère à l’accouchement du premier enfant en France selon l’INSEE
** J’aime beaucoup les réponses comme ça. Répondre sans répondre et en exposant, sans blesser la personne, pourquoi la question est problématique en soi. (Je trouve ça nettement mieux que la réponse de mon mari « quand je vois tes enfants, j’ai encore moins envie d’en avoir »). J’ai le même type de réponse pour « allez, mais tu vas bien prendre un petit verre avec nous, le jus d’orange c’est tout pourri » (réponse élaborée suite à un diner professionnel où je me suis fait traiter d’enfant par un mec qui ne comprenait pas que je ne boive pas d’alcool. Les meilleures réponses ne venant qu’après la situation, je n’ai pas encore eu l’occasion de la dégainer, cette réponse, mais je vous la partage) : « Il y a plein de raisons pour lesquelles je peux ne pas boire d’alcool. Peut-être que je n’aime pas le goût. Peut-être que c’est ma religion. Peut-être que je suis alcoolique en rémission. Peut-être que je suis enceinte et que je ne suis pas prête à l’annoncer. Peut-être que je prends un traitement incompatible avec l’alcool. Mais clairement, j’ai dit non une fois, une deuxième fois, et ce simple non devrait suffire. Le jus d’orange, c’est excellent ! »
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