Il y a deux ans, nous nous apprêtions, mon mari et moi, à passer trois mois en Patagonie. Et quand je dis nous nous apprêtions, nous venions de vider la majeure partie des affaires de notre maison de l’époque, donc le départ était imminent. Ce voyage en Patagonie, c’est un rêve un peu fou-fou que nous avons nourri pendant plusieurs années. Nous devions y aller avant mes 30 ans, puis j’ai eu un nouveau poste qui me passionnait et nous avons décalé de plusieurs années. Nous l’avons nourri, nous l’avons construit, nous l’avons bâti.
Cette aventure, elle a pris naissance peu à peu dans nos têtes. Pour nous, depuis Maurice, découvrir l’Amérique Latine, ça ne pouvait pas se faire en 2 semaines. Que ce soit en termes d’empreinte carbone, de faisabilité ou de budget, ça ne passait pas. Et puis on se connait à force. On traine devant le moindre papillon, donc devant l’immensité de la Patagonie, il fallait doser en termes de mois. Trois, ça nous paraissait bien.
Le moment venu, j’ai démissionné de mon poste, Kunal a pris ses trois mois de congés sans soldes. Le moment venu, nous avons pris nos billets, nous nous sommes équipés (merci les parents ♡). Le moment venu, ou plutôt le moment largement dépassé, j’ai appris l’espagnol.
vec chacun 2 tenues, et pas grand-chose d’autre à part le matériel de bivouac, nous nous sommes envolés pour notre belle aventure… Oui, on a eu le look total pendant 3 mois, en tenue de rando qu’on soit sur les chemins ou à Buenos Aires (j’avoue, j’ai acheté la première robe potable de retour à Buenos Aires pour les 2 derniers jours !)
Et quand nous étions là-bas, dans un moment d’éternité (vous savez, ces doux moments où on se sent un peu hors du temps, flotter presque et on se dit « wow, on est ici, on est là, on voit ça, c’est trop beau, c’est trop doux »), mon mari a dit « on a de la chance » et j’ai répondu « on l’a bâti » (après avoir déjà beaucoup entendu « la chaaaaannnnnccceeee » quand j’ai parlé de notre projet autour de moi, en mode « si je peux, tu le peux ». Oui je suis la compassion incarnée).
S’en est suivi une jolie discussion sur les chemins autour de San Martin de Los Andes qui s’est vite conclue sur « oui, on l’a bâti sur la chance que nous avons ». Oui, nous sommes privilégiés. Grandement. Et quoi qu’il en soit, quelle que soit ma capacité à le reconnaitre, je bénéficie de ces privilèges. Dans ce cas là, d’être française (visas). D’être en bonne santé. D’être née dans une famille qui valorise l’éducation. D’avoir eu mes 2 parents ensemble toute ma vie, de ne pas avoir à m’inquiéter de leur santé jusqu’à l’âge adulte, d’avoir grandi dans une petite ville où j’ai pu cultiver des amitiés avec des personnes qui ne venaient pas du même milieu que moi. D’avoir eu des profs qui se sont préoccupés de mon orientation, parce que j’étais dans un lycée à taille humaine. Et donc d’avoir fait des études que je n’aurais même pas pensé envisageables pour moi sans Mr B. La chance de pouvoir travailler pendant les vacances, parce que j’étais suffisamment en forme pour enchainer la fin de l’année scolaire et le travail avec pour seule transition un week-end de rapatriement dans ma ville « natale » (je l’appelle ma ville natale, pas natale du tout, mais bon, c’est là où j’ai grandi de 9 à 17 ans, c’est tout comme, je ne trouve pas de mot qui corresponde mieux). Bref vous voyez le truc. Je suis aussi très consciente que tout ça peut basculer d’un instant à l’autre. Pas en mode angoissée, mais en mode « cueille dès aujourd’hui les roses de la vie » (j’ai appris Ronsard en CM1, ça laisse des traces).
La Patagonie, on y reviendra. Parce que trois mois c’était bien, mais six autres, ce sera encore mieux. Et puis comme dans tous les endroits où je me sens bien, je me suis visualisée y habiter. Sauf que là, j’avais carrément un projet de tricoteuse de bonnets /écrivaine. Donc un jour peut-être, je tricoterai des bonnets en écrivant (enfin !) mon roman, dans les environs de Pucón ou de Bariloche. Et bien sûr, je donnerai des cours de yoga !
PS : le privilège, j’y reviendrai. C’est un grand sujet qui a de nombreuses ramifications et clairement, déconstruire nos privilèges fait partie du travail nécessaire pour vivre au mieux les yamas (ces « règles » éthiques de comportement en société, le premier pilier du yoga), et notamment Ahimsa (la non-violence), Satya (la vérité) et Asteya (l’honnêteté). C’est un travail inconfortable mais tellement nécessaire, et cette vidéo aide à visualiser la longueur d’avance que nous donnent nos privilèges et la nécessité d’en être conscient-e (bien sûr, cette vidéo est issue du contexte américain, mais on peut l’adapter à nos pays et leurs spécificités).
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