Nous inaugurons aujourd’hui une nouvelle rubrique : de temps en temps, j’inviterai des personnes à partager leur expérience de vie autour du yoga. On commence aujourd’hui avec Helena Lutchman. Nous nous connaissons depuis plusieurs années, et elle n’a de cesse de m’étonner, m’inspirer et me faire réfléchir à travers ses partages toujours justes et bien pensés. Bonne lecture !
Je m’appelle Helena, j’ai 26 ans et je suis Mauricienne. La plus grande partie de mon temps et de mon énergie sont partagées entre les livres, les infusions, les sucreries et le body art ! Plus “sérieusement”, depuis quelques années, j’explore la communication en santé, aussi bien à travers mon emploi en agence de comm’, mes études universitaires, et mes activités bénévoles en ONG. Un des facteurs qui a joué un grand rôle dans le développement de cet intérêt est qu’en 2016, on m’a diagnostiqué d’un lupus érythémateux systémique (ou disséminé). Il s’agit d’une maladie auto-immune chronique et incurable, et dont une cause précise ne peut être déterminée. En gros, mon système immunitaire est “hyperactif” et peut s’attaquer à n’importe quelle partie saine de mon corps (la peau, les os, les vaisseaux sanguins et les organes par exemple). L’une des particularités du lupus est la variété de symptômes qu’il présente, et le fait que les symptômes varient d’un.e patient.e à un.e autre. Chez moi, cela se traduit principalement par la fatigue, des douleurs articulaires, des faiblesses musculaires, des ulcères buccaux (aphtes), des nausées et parfois des ganglions lymphatiques enflés et de la fièvre. D’autres symptômes incluent la perte de cheveux, des éruptions cutanées, des fausses couches… Autant vous dire qu’il est très difficile à diagnostiquer et que certaines personnes souffrent pendant des années avant de comprendre ce qui leur arrive, et donc d’avoir accès à un traitement adéquat. Lorsqu’il s’attaque aux organes (plus fréquemment les reins ou le cœur), le lupus peut être fatal.
Mon diagnostic a demandé que je revois complètement mon mode de vie. La fatigue est mon symptôme le plus constant : je “fonctionne” avec relativement peu d’énergie au quotidien et si j’essaie de pousser au-delà de mes capacités, je risque de faire une poussée de lupus (c’est-à-dire que plusieurs symptômes se réveillent). Je fais donc très attention à planifier mes activités, en prenant en considération combien d’énergie ça me demandera, et en prévoyant des temps de repos. Le stress, les infections, les expositions au soleil peuvent aussi causer une poussée de lupus, et il me faut donc faire attention à tout cela. Je suis suivie par un rhumatologue, avec des examens réguliers et je prends un traitement depuis ces 5 dernières années (et probablement à vie).
Aujourd’hui, il m’est encore difficile de savoir ce que je peux faire ou pas. C’est beaucoup de tâtonnements et de négociation. Un exemple récent est quand j’ai décidé de m’inscrire pour une formation à temps partiel. “Est-ce que je pourrai tenir le rythme de faire l’aller-retour entre l’université et la maison, en transport en commun, trois jours par semaine ? Est-ce que je pourrai gérer la charge de travail et les dates limites lorsque je ne me sens pas bien ?”. Le lupus est, je pense, le paramètre le plus important qu’il me faut considérer dans chacune de mes décisions, et c’est toujours compliqué de trouver l’équilibre entre faire ce qui me motive et ne pas pousser mon corps à bout.
J’ai beaucoup de chance (et de privilège), d’avoir accès à des soins de qualité, d’être entourée de personnes (professionnel.le.s de la santé, famille, ami.e.s) compréhensives et attentionnées. La psychothérapie a aussi été cruciale dans l’acceptation de mon diagnostic. J’évolue dans un environnement de travail très sain, dans lequel je n’ai jamais ressenti la nécessité de dissimuler ma maladie. Parmi les autres choses qui me permettent de mieux vivre la maladie, il y a le fait d’en parler ouvertement, les réseaux virtuels avec d’autres personnes vivant avec le lupus, avoir une routine quotidienne bien établie, me faire masser aussi régulièrement que je peux me le permettre et bien évidemment, le yoga !
J’ai commencé le yoga en avril 2018, et j’avoue qu’au départ c’était un peu par manque d’alternatives. L’image que j’avais du yoga ne me parlait pas trop, voire pas du tout… Pour moi le yoga c’était soit (i) indissociable de certaines croyances et pratiques religieuses (ii) une mode sur les réseaux sociaux, avec des photos de personnes qui posent devant des piscines d’hôtels de luxe (iii) un truc qu’on essaye de me vendre comme “remède miracle” pour mon lupus. Je tenais cependant à pratiquer une activité physique régulière et, après avoir longuement cherché parmi tant de cours dont je n’étais clairement pas le public cible, j’en ai enfin trouvé un qui m’était accessible en termes de lieu, d’horaires et de coûts. Et finalement, lors de ma première séance, je me suis retrouvée allongée sur le tapis avec les larmes aux yeux : je ne me souvenais même plus de la dernière fois que je m’étais sentie aussi bien dans mon corps. Depuis, je n’ai pas arrêté ! Dérouler le tapis est la première chose que je fais à mon réveil, et la dernière avant de me coucher. Le yoga me permet d’exercer mes articulations en douceur, de lâcher prise et surtout de me recentrer sur moi-même. Cette pratique m’a permis d’apprendre à faire les mouvements dont mon corps à besoin (que ce soit en cas de tensions aux épaules à cause de ma posture devant l’ordinateur, en passant par les ballonnements à certains moments de mon cycle menstruel, jusqu’aux douleurs articulaires liées au lupus). La posture du pigeon est ma préférée, suivie de près par la posture de l’enfant, car je me sens vraiment enracinée dans ces postures. En ce qu’il s’agit de respiration, c’est de loin la respiration alternée qui me fait le plus de bien ! J’essaie de la pratiquer pendant quelques minutes tous les matins, et il n’est pas rare que j’y revienne à n’importe quel moment de la journée lorsque je me sens angoissée.
Cependant, le yoga n’est pas un remède magique. Il ne soulage pas toutes les douleurs, et ne remplace pas mon traitement médicamenteux pour le lupus. Il n’efface pas toutes mes pensées et émotions négatives, en particulier celles qui sont liées à des schémas de pensées irrationnels, et sur lesquelles on travaille en psychothérapie. Il n’empêche pas qu’à des moments je ne dose pas bien mon énergie, je vais trop loin et mon corps finit par “crash”… ou qu’à d’autres moments (souvent !) je me sens submergée ou anxieuse. Même s’il contribue à une relation plus saine avec mon corps, le yoga ne fait pas de moi une personne qui est 100% positive au sujet de la maladie, ou qui ne se compare pas de temps en temps (là encore, souvent !) aux autres.
Quand on parle d’Ahimsa (de non-violence) dans le yoga, je pense que c’est cette idée de comparaison et donc de non-comparaison qui est la plus importante. Mes premiers cours de yoga en groupe m’ont fait réaliser que, par exemple, une personne peut être souple mais manquer d’équilibre, ou être très à l’aise dans certaines postures mais ne pas se sentir suffisamment en confiance pour en essayer d’autres. On fait avec le corps qu’on a, les bobos qu’on accumule au fil du temps et qui nous fragilisent, ou les compétences que l’on développe avec la pratique. Je pense que c’est un principe important à ramener au-delà du tapis lorsqu’il s’agit du lupus. Nous avons des modèles plutôt rigides de ce qu’un corps est censé être ou de ce qu’il est censé pouvoir faire. Ce sont des attentes que l’on internalise, et les comparaisons viennent autant de nous même que des autres. Afin de mieux vivre avec le lupus, et d’aider ceux et celles autour de nous qui vivent avec, nous pouvons nous renseigner au maximum sur la maladie et oser remettre en question les institutions qui n’ont pas été conçues en pensant à tous les corps.
PS : je recommande vivement ces deux textes : The Body is Not An Apology de Sonya Renee Taylor et Invisible de Michele Lent Hirsch !
N’hésitez pas à envoyer des paillettes à Helena dans les commentaires ! Vous pouvez retrouver Helena sur son blog : https://withthewolf.wordpress.com/
Émouvant témoignage Héléna, merci de nous le partager, je ne connaissais pas du tout cette maladie : le Lupus.
Votre courage est admirable, j espère que vous continuerez à vous ménager et que vous trouverez des moyens pour éviter ou freiner les crises, et ainsi que la douleur.
Recevez toute ma compassion.
Sylvie
Bonjour Sylvie,
Pour une obscure raison de jeune débutante sur mon propre site web, je ne vois vos doux mots pour Helena que ce soir ! Je les lui transmets. Merci beaucoup pour votre message !
Passez une excellente soirée,
Emilie
Beaucoup de paillettes!
Yeayyyy !!