Il y a 2 ans, après avoir passé beaucoup de temps à pratiquer seule chez moi, je me suis retrouvée dans un cours de yoga, avec une prof que je ne connaissais pas. Elle utilisait tout un tas de vocabulaire qui ne me convenait pas du type « la posture complète » ou « pour les plus avancées»*. Elle a passé du temps à ajuster celles qui faisaient des postures sur la tête, sans prêter attention aux autres. Ça m’a dérangée, et je sais que ce moment a été décisif dans le cheminement qui m’a décidée à investir pour devenir prof de yoga : j’ai ressenti que j’aurais ma place, en tant que prof de yoga, toute raide et incapable de toucher mes orteils que j’étais (et que je suis encore), puisque si j’étais ainsi, je ne devais pas être la seule !
Dans beaucoup de partages qu’on voit sur Facebook, Instagram, en couvertures de magazines de yoga, on voit rarement des postures modifiées pour convenir à des corps différents. Et franchement, je ne suis pas très à l’aise non plus de partager mon chien tête en bas adapté dans un post sur les réseaux sociaux : « est-ce qu’on va me considérer vraiment comme une prof de yoga ? » Je le fais malgré tout, parce que prouver à la petite voix qu’elle a tort est une façon très pratique de grandir, et aussi parce que moins il y aura des partages de poses adaptées à des corps pas souples, moins on a de chances de faire évoluer les choses.
Ce qu’on trouve aussi sur les réseaux sociaux, ce sont des visuels qui encouragent à aller toujours plus loin dans la posture, et toujours plus loin dans les postures acrobatiques et impressionnantes, ce qui fait naitre sentiment d’incompétence chez celles et ceux qui ne peuvent pas pratiquer ainsi et qui en plus fait croire que pour faire du yoga il faut être ******* (souple, jeune, mince, etc.). La dernière fois, je suis tombée sur ce visuel « bien » / « très bien », avec des suggestions dans la catégorie « très bien » qui me font mal rien que de la regarder faire et qui sont inaccessibles, voire dangereuses, pour beaucoup d’entre nous. Or, nous venons d’un système éducatif où on a toujours voulu avoir « très bien », plutôt que bien. Donc on va vouloir essayer, peut-être se blesser, pour avoir ce « très bien ».
On a chacun-e nos corps, avec ses limites, ses os et ses articulations uniques, son histoire, ses péripéties et ses maladies. Il n’y pas une posture qui est universellement « bien » ou « très bien » (d’ailleurs si les extra-terrestres ont 7 bras, on sera bien embêtés avec cet universalisme du yoga, et ce qui était considéré par certain-e-s comme « très bien » devra être déclassé en « à peine passable ». Bref, ça ne tient pas).
Il y a la posture qui est possible dans notre corps, dépendant de notre souplesse, de notre équilibre, de la longueur de nos bras, de notre ventre qui vient peut-être se mettre dans le chemin, etc. Il y a la posture qui est sécuritaire : le respect des alignements, la limite en termes de douleur, l’attention portée aux membres que l’on sait fragiles en soi. Il y a la posture qui nous permet de nous connecter à nous-mêmes, d’être nous, dans toutes les couches de notre être. Et celle-là, aucune photo ne vous la montrera. Et idéalement, ces trois ingrédients sont réunis dans une même posture.
Ce que je trouve de plus fascinant en yoga, et ce qui nous change, ou nous reconnecte, plutôt, à nous-mêmes, c’est l’attention aux sensations physiques, mentales, spirituelles, quand on pratique. Comment vous vous sentez quand vous n’arrivez pas à faire comme la prof (ou comme les autres élèves si vous pratiquez en présentiel) ? Comment vous vous sentez quand vous n’arrêtez pas de perdre l’équilibre dans la posture de l’arbre ? Comment vous vous sentez quand la prof vous invite à visualiser une lumière en vous et que vous ne voyez rien ? Si vous êtes comme moi, votre petite voix se fait peut-être entendre de façon assez peu douce « oh là là, mais j’y arrive pas », « je sens rien de rien de rien, je suis pas assez concentrée », « je vois rien de rien, j’ai un souci, pourquoi je la vois pas la lumière, moi ? Je suis sûre que tou-te-s les autres la voient, je vois que du noir. », etc.
Je vous le dis souvent, observer ce qu’il se passe en soi quand on pratique le yoga permet de mieux observer ce qu’il se passe en soi dans la vie. Et de mieux gérer les situations du quotidien. Et au-delà de l’observation, peu à peu, on évolue, la petite voix se transforme : « c’est OK de ne pas tenir le chien tête en bas », « je perds mon équilibre, je recommence », « je ne vois pas la lumière, je reviens à l’observation de ma respiration ».
Au fil des séances, j’essaie autant que possible de toujours vous mettre à l’aise par rapport à vous-mêmes et à ce que vous pensez devoir faire. Mon intention est toujours toujours toujours que vous ne vous sentiez pas « moins » ****** (souple, agile, résistant-e, en forme, jeune, etc.). Je souhaite, à chaque séance, que vous puissiez vous connecter avec vous-mêmes, tel-le-s que vous êtes, sur votre tapis, et dans votre vie. Parce que l’héroïne de la séance de yoga, c’est vous, l’héroïne de votre vie, c’est vous !
*(et puis, le yoga, ce ne sont pas que des postures, j’y reviendrai dans de futurs articles, donc parler de « plus avancé » sur une simple dimension posturale n’a aucun sens).
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